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►La 8e Symphonie de Dimitri Chostakovitch (1906-1975) :
Les « horreurs de la vie »
Après la célèbre 7e symphonie dite Léningrad, composée au début du siège de la ville (8 août 1941), le compositeur russe s’attela à une Symphonie en ut mineur qu’on appela parfois improprement « Stalingrad ». Plus encore, elle donna lieu à quelque méprise quant à son contenu profond. Dédié à l’ami de toujours, le chef d’orchestre Yevgeny Mravinski, l’opus 65 est une composition d’une ampleur inhabituelle – en particulier dans cet adagio initial qui atteint presque la demi-heure -, mais aussi d’une indicible grandeur tragique. Composée à l’été 1943, puis créée à Moscou le 4 novembre suivant, elle fut interprétée en février 1944 à Novossibirsk avec la Philharmonie de Leningrad et Mravinski au pupitre. J’ai retrouvé sur YouTube un concert extraordinaire donné avec l’un des interprètes les plus autorisés du compositeur, le chef d’orchestre d’origine allemande Kurt Sanderling (1912-2011). Nous étions à la Philharmonie de Berlin en 1997. Or, Sanderling avait été longtemps durant le maestro d’un « second » orchestre à Leningrad. Natif de Prusse Orientale, le chef germanique, alors répétiteur au Städtstische Oper de Berlin (1931-1933), fut licencié comme « non-aryen » par les autorités culturelles allemandes. D’où un exil contraint en URSS. Sa stature de musicien prendra incontestablement une dimension exceptionnelle puisqu’il aura vécu personnellement l’expression du totalitarisme autant dans sa version chauvine et raciste que dans sa version faussement communiste. De fait, Sanderling était mûr pour saisir la détresse du compositeur russe.
La 8e Symphonie déplut aux autorités qui, elles par contre, en avaient instantanément pressenti la signification. Le premier enregistrement de la symphonie, toujours assurée par Mravinski à la tête de la Philharmonie de Leningrad, date de 1947. Mais, l’année suivante, Andreï Jdanov, responsable de l’idéologie et agissant sous l’ordre de Staline, en faisait interdire la diffusion. Des années plus tard, retourné en Allemagne de l’Est, Kurt Sanderling en assurera la recréation en 1976 – un après le décès de Chostakovitch - avec l’Orchestre Symphonique de Berlin. Le compositeur russe s’était rapproché du chef d’orchestre. Lorsque celui-ci se rendait en RDA, il ne manquait jamais de voir Sanderling et ils travaillaient ensemble sur son œuvre. C’est sans doute la raison pour laquelle Sanderling demeure aussi le meilleur interprète de la dernière 15e symphonie de Chostakovitch.
Je reproduis ici des passages de l’entretien donné par Kurt Sanderling à Hans Bitterlich en 1992 à Berlin.
MiSha.
Q : Avez-vous pu suivre les préparatifs de cette création (ndlr : celle de 1943) ?
Kurt Sanderling : « Bien sûr, j’étais présent à toutes les répétitions, et tous ceux qui y assistaient ressentaient déjà à ce moment, ou précisément à ce moment, que la Huitième était une œuvre hors du commun. Je pense qu’elle pouvait devenir extrêmement dangereuse pour l’auteur, et seul le jugement favorable dont avait bénéficié Chostakovitch avec sa 7e Symphonie lui épargna de disparaître aux oubliettes dès la Huitième, comme le faisaient craindre les attaques idéologiques qui avaient été lancées contre lui en 1936. »
Q : Revenons à la 8e Symphonie. Le directeur de la Philharmonie de Leningrad Ivan Sollertinski, que vous teniez en haute estime et qui était un grand musicologue bien trop tôt disparu en 1944, a présenté une introduction devant le public avant la création à Moscou et aussi à Novossibirsk. Vous rappelez-vous encore de son contenu ?
Kurt Sanderling : « Mais certainement. C’était d’ailleurs l’habitude à cette époque, puisqu’il n’existait pas de programmes imprimés. Avec une agilité incroyable d’expression et d’esprit, il n’excusa certes pas l’œuvre, mais donna à son contenu une autre interprétation malgré les conditions politiques défavorables. Son discours en résumé : selon Sollertinski, la symphonie devait refléter les horreurs de la guerre, avec la perspective lumineuse d’un monde de paix. Ce qui était bien sûr une pure absurdité intentionnelle. Ce ne sont pas les horreurs de la guerre, mais les horreurs de la vie qui sont le fond de cette symphonie, la vie d’un intellectuel dans les conditions qui régnaient à cette époque. »
Q : Pourquoi Chostakovitch a-t-il fait se succéder deux scherzos (allegretto et allegro non troppo) ?
K.S. « Puis-je vous répondre en bon Juif par une contre-question ? Pourriez-vous imaginer qu’après ce premier mouvement (ndlr : l’adagio de 27 minutes chez Sanderling), un scherzo aurait rétabli à lui seul l’équilibre, surtout lorsque suivent une telle passacaille et un tel finale ? Je voudrais interpréter le troisième mouvement comme symbolisant la dignité de l’individu foulée aux pieds, tandis que le quatrième est sans doute le plus introverti de cette symphonie, peut-être même de tout son opus symphonique. Il montre l’auteur, l’individu dans une solitude et une détresse totales. »
Derniers commentaires
24.03 | 11:11
merci pour cette page consacré à la cinémathèque Algérienne. On souhaiterait avoir votre mail
20.08 | 16:38
je suis admirative de la STRADA j'adore le role g=de Guillieta Masina et Antoni Queen les prise de vue ce noir et blanc ces personnages..les instruments..les paysages.Ce film est un chef d'oeuvre
19.10 | 11:54
Le cinema est ma grande passion
27.12 | 13:16
place, qui répondent à ce qu'il a pu rêver dans sa captivité." (1946)
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